Vaste mascarade

Le procès de Saddam Hussein devant le Tribunal Spécial Irakien depuis près de huit mois tient plus de la farce que du procès en règle.

Pourtant, le dictateur sanguinaire, vous vous en doutez, n’a rien d’un garçon en culottes courtes ; le bilan de son règne le place dans le peloton de tête des plus grands tyrans : 180.000 kurdes assassinés, 450 villages rasés, une population civile entière gazée à Halabja, 200.000 disparus, près de 700.000 soldats sacrifiés pendant la guerre contre l’Iran, 900.000 personnes déplacées, la découverte des chambres de torture et la mise au jour depuis 2003 de plus de 300 charniers dans tout le pays.

Cette accumulation de génocides, crimes de guerre et crimes contre l’humanité légitimait à elle seule une guerre, même sans mandat de l’ONU.

Oui, et pourtant aucune de ces atrocités n’apparaîtront dans les chefs d’accusation pour lesquels Saddam Hussein comparaît devant le Tribunal Spécial.

Pourquoi ? N’y aurait-il pas plus de crimes contre l’humanité dans le passé de Saddam Hussein que d’armes de destructions massives sur le territoire irakien ? Non, il ne s’agit pas de cela. Bien mieux : l’évocation de ces différents événements posait en réalité de manière trop insistante la question de la complicité des Occidentaux, anciens alliés de Saddam.

Ainsi, aller au fond du dossier sur la guerre Iran-Irak, c’était rappeler que Washington a été l’adjuvent le plus actif de Saddam, lui fournissant son plan de bataille, lui offrant ses satellites, lui désignant les cibles à frapper, sans ignorer que Saddam utilisait des gaz de combat. C’était avouer que l’Amérique et l’Europe, alarmés par la révolution des Ayatollahs, ont consenti au carnage. Evoquer le massacre des civils d’Halabja, c’était révéler que les gaz mortels, moutarde ou neurotoxiques, provenaient d’Allemagne ou étaient fabriqués sur place dans des usines équipées par la France et l’Amérique. Ouvrir le dossier de l’écrasement de l’insurrection chiite au lendemain de la guerre du Golfe, c’était s’interroger sur les raisons qu’avait le président Buch père pour lancer un appel à la révolte puis laisser les hélicoptères de la Garde républicaine massacrer les insurgés du Sud… C’est parce que chaque chapitre des crimes de Saddam met en cause ceux qui lui ont permis de se maintenir au pouvoir, de perpétrer ses abominables forfaits, qu’il n’est finalement jugé que pour une broutille, une incartade vénielle au regard de la liste immense de ses crimes : le massacre des habitants chiites du village de Doudjaïl en représailles à une tentative d’assassinat contre Saddam Hussein en 1982. Un bilan d’à peine 143 morts, dont la sanction complète harmonieusement le tableau : mise à mort par pendaison.